Portraits du Collectif Tricolor. Une multiplicité de professions, et autant d’hommes et de femmes engagés dans la restructuration des filières lainières françaises. À travers une série d’entretiens, le Collectif Tricolor vous emmène à la rencontre de ses partenaires. __________________________________

Aujourd’hui, rencontre avec Muriel Morot fondatrice de Traille

Traille produit de la ouate isolante à partir de laines de brebis du sud-ouest avec pour but de recycler de la laine inutilisée, produire des textiles techniques innovants et performants, fournir des alternatives naturelles à des matières synthétiques, offrir transparence et traçabilité aux marques et consommateurs et être un relais des territoires et des bergers.

Tout d’abord, que vous évoque le mot « laine » ?

Cela me rappelle l’événement fondateur du projet Traille, celle du berger que j’ai rencontré par hasard et qui m’a raconté son histoire. C’est la première fois que j’entendais parler du problème de la laine qui s’entassait, de son gâchis, et de l’argent et des difficultés que tout cela engendrait. Je découvrais également que cette matière cristallise aujourd’hui un grand nombre de problèmes. Ceux de l’industrie française, et de la mode en particulier, mais aussi ceux de l’agriculture et des éleveurs qui, placés au bout de la chaîne alimentaire, représentent néanmoins des leviers de développement dignes d’intérêt pour la société du futur. Ma vie a ainsi depuis lors changé, tant d'un point de vue personnel que professionnel. C’est pour cela que la laine est un sujet très personnel.
 

Qu’est-ce qui vous a amené à créer Traille ?  

J’avais un restaurant avec mon mari après avoir effectué sept ans de conseil dans l’aéronautique. Je possédais donc déjà une expérience entrepreneuriale et la continuité entre la lignée de bergers dont je suis l’arrière-arrière petite fille et la rencontre avec ce berger ont créé un déclic. 
 

 

« Tous les choix pour la direction de l’entreprise, comme le process industriel, se font maintenant en fonction de l’empreinte environnementale.»

 

Y a t il des similitudes entre la gestion d’un restaurant  et celle d’une petite entreprise de ouate ?

Le métier n’est pas le même, mais faire fonctionner une entreprise fait appel à des mécanismes similaires pour que l’activité marche ! Chacune représente une aventure entrepreneuriale. Avec le restaurant, nous avions la volonté de consommer en direct, avec les producteurs locaux, de sourcer notre matière première… Avec Traille je suis allée beaucoup plus loin dans la démarche, car tous les choix pour la direction de l’entreprise, comme le process industriel, se font maintenant en fonction de l’empreinte environnementale. Elle constitue la première problématique de mon activité. Qu’il s’agisse de réduire la production de polyester ou de minimiser l’impact carbone du produit du début à la fin, voilà l’idée.
 


Vous parlez de proximité, mais dans quel territoire s’inscrit Traille ?

Je travaille tout d’abord soit directement avec les bergers, soit par le biais de leur coopérative, avec pour but de payer le coût de la tonte en plus de celui de la laine. Il y a 2700 éleveurs ovin à l’échelle du département [Pyrénées-Atlantiques], et je n’ai pas les moyens de récupérer toute leurs laines, d’où mon partenariat avec la coopérative ! Pour aller plus loin, si le projet marche bien, il faudrait que l’ensemble du système local en bénéficie. L’idée est donc de reverser une partie des bénéfices à des associations locales aux thématiques variées : pour des refuges d’animaux sauvages, le nettoyage des forêt, ou encore à une entreprise qui replante des arbres pour recréer l’écosystème de la forêt.

Le projet se veut le plus territorial possible. Même si j’ai dû ouvrir mes horizons concernant la chaîne de production entre Tourcoing et le nord de l’Espagne, les trois étapes industrielles de la ouate sont réalisées proche de mon atelier. L’ancrage est quotidien aussi. Par exemple, je travaille avec un atelier de Bayonne pour la gamme de matelassage. J’ai la volonté de créer une économie circulaire, de circuits courts. Je fais notamment partie du projet Lanaland, qui est un projet européen entre le Pays Basque français et le Pays Basque espagnol, qui promeut des projets de recherche pour diversifier les débouchés de la laine.

La coopérative mène le travail de démarchage auprès des bergers. Comme j’amène le produit fini tout de suite, ces derniers peuvent se projeter rapidement sur un résultat positif. Car ce dont on ne parle pas, c’est que derrière la dimension économique tragique de la laine, il y a aussi très souvent une dimension émotionnelle. Le fait de jeter la laine de ses brebis est une humiliation de plus pour le berger, qui bénéficie de peu de soutien territorial, et est empêché à la fois de la jeter à la déchetterie et de la brûler !

La moyenne du département est de 300 animaux par troupeau. C’est peu. On est dans le cliché de la maison basque au volet rouge dans laquelle toute la famille vit, mais cela reste une réalité. Avec la défense du pastoralisme, nous vivons dans des campagnes vivantes où il y a de l’activité et de l’emploi !
 

 

« Déjà proposer une alternative au polyester est une façon de dénoncer son utilisation…»

 

Et qu’en est-il des jeunes ? L’imaginaire commun montre des générations d’agriculteurs ou de bergers vieillissantes…

Non, les gens reprennent ! Et ce sont des passations familiales, des gens du coin qui n’étaient pas dans l'agriculture qui s’y mettent, mais aussi quelques néo-ruraux. Ces deux derniers acteurs sont intéressants, car ils amènent une diversification dans la production. Ils vont par exemple faire des yaourts, faire de la vente directe, marketer un peu les produits, et cela permet aux éleveurs peu à peu de s’affranchir du système conventionnel. Contrairement aux regards suspicieux qu’il pourrait y avoir sur ces nouveaux projets dans d’autres régions, les Basques possèdent une forte identité qui leur donne envie de valoriser leur patrimoine et leurs productions. Ils sont fiers de qui ils sont, d’où ils viennent, fiers de leur histoire. Récemment il y avait les journées du patrimoine, et ici, on sent une volonté de renouer avec le passé, de ne pas perdre les industries locales. Par exemple l’usine d’espadrille de mon village qui a fermé, mais où l’on voit encore quelques vieux travailler. Récemment, j’ai également assisté à la Biennale du textile contemporain d’Oloron, pas très loin de Pau, dont la thématique était la laine, et j’ai halluciné du passé textile de cette ville que je ne connaissais pas sous cet angle ! Elle possède trois lavoirs à laine et une multitude d’anciennes fabriques, les plus anciennes datant du Moyen- ge ! Toutes ont fermé il y a cinquante ans et aujourd’hui, c’est comme si cela n’avait jamais existé… C’est pourquoi des projets comme Traille font partie de cette redynamisation du territoire, qui lui redonne une vitalité. 
 

Qu’est-ce qui vous a amenée à intégrer le Collectif Tricolor ?

Cela fait deux ans que le projet existe et un an que j’y suis à plein temps, donc je suis assez humble dans mon approche de la matière. Intégrer le Collectif Tricolor m’a permis de rencontrer des gens comme Eric Carlier du Passe-Trame qui m’ont beaucoup apporté en termes de connaissances et de partage d’expérience. Je sens que Traille participe à une dynamique globale et c’est galvanisant.

Diriez-vous que votre activité s’engage pour la société de demain?

C’est sûr, et à plusieurs niveaux ! Déjà proposer une alternative au polyester est une façon de dénoncer son utilisation… Et puis Traille est un relais de communication concernant le gâchis de la laine, dans le sens où je valorise des gens et des territoires ni connus ni considérés, qui ne pèsent pas. Enfin, un dernier objectif est que les marques avec qui je travaille viennent à la ferme et voient les brebis, afin de raccourcir la chaîne et que les différents acteurs se parlent.

Enfin, quelle serait selon vous l’action à réaliser aujourd’hui pour les filières lainières de demain ?

Je pense qu’il n’y a pas une seule chose à faire, il faut développer de façon multiscalaire une vision globale des filières, et que les actions soient menées à tous les niveaux. 
 
 

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